La CCC

Par Pierre-Yves Leterme

 

Pour notre baptême de l’Ultra, la météo ne nous a pas raté : sur 24 heures de course, 15 heures sous la pluie et la neige ou dans le brouillard, des températures négatives dés 1900 m d’altitude… un cauchemar ? une galère ? un ratage ? une impasse ? « Plus jamais ça »?? …. Pas du tout en fait, rien de tout de cela, et c’est même le contraire : la joie, la niaque, la rage, mais aussi le calme, la patiente, le détachement… qui nous ont porté jusqu’à la ligne d’arrivée à Chamonix, après 9 mois de préparation depuis les résultats du tirage au sort de Janvier.

Comment mieux résumer cet état d’esprit qu’en rapportant  cette réflexion de notre co-équipier Philippe, quelques heures après la course, après un bain et un bon hamburger-frites au soleil, et qui nous déclare tout de go : « Moi mon moment préféré, c’était Bovine J » !?! Enorme éclat de rire pour qui a vu Philippe à Bovine  la nuit même vers 1h00 du mat : Trempé (sa veste perce), en hypothermie, à deux doigts de l’abandon, tremblant au point de ne pas pouvoir tenir un bol de soupe, au beau milieu de ce ravito incroyable organisé dans une étable : Une sorte de radeau de ma méduse perché dans la neige, entouré de vaches avec leurs cloches ( un vrai concert !) qu’il faut contourner pour accéder au refuge. A l’intérieur c’est un capharnaüm de coureurs en détresse dans leur couvertures de survie… il faut dire que nous courrons avec la queue de la course et nous avons notre lot de concurrents en difficulté autour de nous… Nos « moments préférés » ce sont finalement ceux lors desquels on a vraiment su se dépasser pour continuer et aller au bout, comme l’a fait Philippe pour repartir de Bovine. Le plaisir qui marque le plus est celui de l’effort et du dépassement, même si heureusement ce n’est pas le seul J

Derrière nous, nos heures d’entrainement, nos interminables discussions sur les équipements : veste, sac bâtons, chaussures, gants ( !) , lunettes, ravitos…  nos répétitions  grandeur nature : les Drayes du Vercors en Juin, le trail des 2 lacs à la Plagne en Juillet,  et nos choix de dernière minute qui se sont relevés judicieux : suffisamment de change pour pouvoir repartir presque à sec de Champex (au moins le haut), mais sans courir trop chargés….

Il s’en faudra de peu pourtant pour que mon aventure à moi ne s’arrête à Vallorcine : Des le début de la course, j’étais concentré sur une idée simple : m’économiser pour pouvoir durer, ne jamais lâcher trop d’énergie dans l’effort car on ne soupçonne jamais ce qui nous attends, surtout quand on court pour la première fois sur ce genre de distance, donc toujours garder une sorte se « sous-régime » et boire et s’alimenter très régulièrement. Un seul objectif : finir sans se blesser. Ce faisant, j’ai quand même pas mal retardé Anders et Philippe qui m’attendaient presque systématiquement un quart d’heure à chaque ravito (ça compte les copains…).Etant partis dans la troisième vague (un choix pour ne pas se faire entrainer sur un rythme trop rapide pour nous au début) nous fleurtions donc allégrement avec les barrières horaires depuis Bertone…  

Après le passage phénoménal de Bovine (meeuuuh !! ding dong !! ) , l’équipe était plutôt revigorée et optimiste à Trient, prêts a en découdre avec la dernière ascension sous la neige. Un peu d’euphorie donc, de relâchement,  et manque de concentration : les organisateurs nous briefent sur la météo infernale qui nous attend à  Catogne (mais rien de « pire » que Bovine ou le grand col Ferret… en fait les organisateurs on toujours un peu tendance à en rajouter une couche, c’est le cas de le dire ! ) et je décide sans vraiment réfléchir de me couvrir plus :  je rajoute une polaire et mon surpantalon imperméable. Grosse erreur. Dans la montée qui suit et qui s’annonce pour durer environ 1h30, j’ai trop chaud, je transpire énormément, je ne suis plus à l’aise dans mes mouvements, je peine et je perds du terrain sur mon groupe. Il faut décider qqch… je décide d’enlever mon surpantalon aprés 20 mn de montée car je suis en nage. Il faut donc s’assoir… la belle affaire…. Nous sommes en forêt je cherche un endroit, après qques virages j’avise un tronc d’arbre… il est glissant comme une savonnette et pas très horizontal en fait… trop tard je bascule à la renverse je me retrouve les jambes en l’air dans les cailloux… grand moment de solitude, il me faudra prés de 10 mn pour réussir à défaire ce !§? de pantalon.

A ce moment un petit groupe de coureurs me dépasse et je leur emboite le pas. Pendant une heure et demie, je vais suivre pas à pas la foulée de la concurrente qui me précède. C’est une japonaise, elle a un petit drapeau nippon cousu sur son sac : je fixe le rond rouge sur fond blanc comme une cible et je ne pense plus a rien. Je retrouve mon calme et le rythme posé que j’affectionne. Peu après le sommet elle s’arrêtera sur le coté, je la dépasse et lui demande en anglais  si tout va bien et elle me fait juste un signe ok de la main… est-ce que je l’ai gênée avec ma lampe en courant derrière elle pendant si longtemps… je me le suis demandé par la suite.

Plus loin dans la descente un coureur italien est en difficulté, il me demande de l’aide il a trop froid aux mains pour ouvrir son sac. Je m’arrête pour l’aider, il ne va pas bien du tout,  il se ravitaille et me demande si il peut rester avec moi. La descente raide fait maintenant place à un large chemin, et je constate que ma lampe faiblit dangereusement. Je décide de changer de piles car je sais qu’il me reste encore  prés d’une heure avant Vallorcine. L’italien m’éclaire mais c’est délicat dans le froid d’extraire les piles, fouiller dans son sac etc … encore au moins 5 bonnes mn de perdues…

Nous repartons enfin dans un groupe d’une dizaine et a l’approche d’une bifurcation un signaleur nous annonce que la barrière horaire de Vallorcine est dans une demie heure et que c’est vraiment limite pour la descente… Bizarrement cela ne me fait aucun effet, je presse un peu le pas, double le groupe et je m’installe doucement dans l’idée que la course est finie pour moi, je vais rater la barrière, je l’accepte, j’espère que Anders et Philippe vont appliquer les consignes et repartir de Vallorcine sans moi… A 10 mn du ravito, on devine les lumières du village, une concurrente déboule derrière moi en hurlant « on va le faire ! c’est pas perdu ! suis-moi je connais bien le chemin ! » Ha bon ?  C’est parti ! On a dévalé a travers la prairie comme des fous, il commençait tout juste à faire jour, les gens du village nous encourageaient, on a traversé les petite rues au sprint, tout à coup j’ai aperçu Anders qui me faisait des grands signes prés du ravito, j’ai passé le contrôle à 4 mn de la fermeture… avalé un coca et repartis aussitôt, trop content, pour rejoindre Argentiéres puis Chamonix ou nous avons franchi la ligne à trois, 24h et 5 mn après Courmayeur.

Quelle aventure incroyable ! Contrairement a beaucoup, j’aime courir la nuit,  j’aime traverser la nuit, c’est un voyage un peu étrange et inquiétant ou on laisse le jour derrière soi pour le retrouver au bout du chemin. Merci à tous mes supporters (le suivi de la course sur internet était vraiment top apparemment, et la webcam de Champex nous a trop faire rire J))) , merci Anders et Philippe, merci Muriel, Anne et Pascale.

 
Foulée Royale - 9 Juin
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