SKY RACE 2011 : On a couru dans les nuages !

Par Pierre-Yves Leterme


Il y a certains Lundi matins où descendre un escalier est une expérience douloureuse (monter c’est plus facile, vous avez remarqué ?), certains Lundi matins où il faut se préparer avant de se décider à se lever de sa chaise ou à ramasser un stylo tombé par terre…
Mais bizarrement ces Lundis là sont aussi des plus légers, ceux où l’on a encore la tête dans les nuages et le corps tout secoué, ceux où l’on se repasse en boucle le film de la course de la veille, toutes ces émotions, ces joies et ces douleurs des coureurs encore assez néophytes pour se laisser surprendre par une nouvelle épreuve.

Dimanche 17 Juillet, 6h30 du matin à Névache, 1600 m d’altitude, dans la magnifique vallée de la Clarée (Hautes Alpes). Hier soir encore des grappes de trailers optimistes, le dossard à la main, essayaient de trouver un peu d’espoir en déchiffrant le dernier bulletin météo placardé à l’office de tourisme de la ville haute. Mais maintenant ce n’est plus seulement une prévision, ils sont là, massés au dessus de nos têtes : Les énormes nuages noirs annoncés la veille ont avalé tous les sommets du massif. Groupés, nous écoutons avec attention le responsable du SDIS, en compagnie de Patrick Michel, l’organisateur de la Sky Race (le même qui organise le magnifique trail Blanc de Serre Chevalier), nous expliquer que le tracé de la course a été corrigé : impossible aujourd’hui de laisser 500 coureurs s’aventurer au sommet du Mont Thabor (3187 m) en raison du mauvais temps, du risque d’orage et de l’impossibilité de porter secours par hélicoptère à un éventuel blessé.
 
La décision est accueillie avec déception, résignation ou soulagement, c’est selon. Pour moi ce sera plutôt soulagement… La course est raccourcie de 42 à 34 km, le dénivelé ramené de 3000m à 2400m, le mont Thabor n’est plus au programme. La course culminera tout de même à 2935 m au Pas du Lac Blanc, puis nous quitterons le trajet initial après le col du Vallon et le retour sur le village de Nevache est modifié, par la Vallée étroite et le Lac Chavillon. Sage décision des organisateurs : les heures qui suivent vont nous prouver que c’est un programme déjà bien rempli avec la météo qui nous attend.

La pluie va nous rejoindre dès la demi-heure de course, puis ne plus nous quitter de toute la journée… Elle sera d’abord fine, presque agréable dans la montée vers les alpages jusqu’aux Chalets de Biaume. Puis elle se fera plus drue, pénétrante, giflante, quand le vent se lèvera après avoir passé le lac Laramon (2359 m). Quelques randonneurs chevronnés, les cheveux en bataille et passant le nez hors de la tente, sont un peu éberlués en apercevant la cohorte multicolore qui contourne le lac dans la pluie le froid et le brouillard ! Il est 8h45, nous sommes partis depuis 1h45, c’est l’heure ou l’on plaisante encore entre voisins de course, mais aussi l’heure ou les meilleurs vêtements imperméables ne peuvent plus rien pour nous…

Bientôt l’expression « trempé jusqu’aux os » prendra un aspect très concret, très perceptible, qui je dois l’avouer, m’avait jusqu’alors échappé !

Nous laissons le Lac Laramon derrière nous pour rejoindre le lac du Serpent, puis on attaque « le dur », la montée vers le pas du lac Blanc. Pour moi les choses difficiles commencent : si la vue totalement bouchée ne me permets pas d’apprécier l’altitude, ce sont mon cœur et mon souffle qui s’en chargent : à partir de 2700m d’altitude je suis obligé de modérer mon effort, de ménager des arrêts pour reprendre mon souffle. Le vent se lève, les bourrasques sont parfois violentes, la grêle se mêle à la pluie. Je décide de me ravitailler et la je me rends compte que mes doigts sont engourdis et que je sais à peine ouvrir mon sac ! Je mets plusieurs minutes à enfiler mes gants (j’aurais du le faire avant !). Alors une décision très simple s’impose à moi : je vais garder tout mon calme, grimper à mon allure, gérer ma course, et surtout faire attention à ne pas me blesser, car ma cheville droite se rappelle à moi dés que je baisse un peu de vigilance. C’est ensuite une progression très concentrée vers le sommet, mes sensations sont étranges à cause de l’altitude, je sens bien que je ne cours pas dans mes conditions habituelles, prés du plancher des vaches !

Le passage au sommet à 2935m se fera « en coup de vent », la vue était surement superbe hier, il faisait si beau Samedi…ce sera pour une prochaine fois. Les signaleurs emmitouflés nous attendent à chaque point clé du parcours, certains ont bivouaqué au sommet la veille pour être à pied d’œuvre afin guider la tête de la course. Ils ont tous un mot d’encouragement pour nous qui sommes transis et légèrement hagards, mais que dire de leur courage et de leur passion à eux…

La bascule qui suit est vraiment impressionnante, c’est une descente technique dans un ravin de cailloux et de terre noire, glissante. La présence des autres coureurs rassure et donne confiance en soi, car on a l’impression de descendre dans un gouffre géant qui va nous engloutir... Le tonnerre gronde, la pluie redouble… ambiance… Mais au fur et à mesure de la descente l’étau de desserre, ma respiration redeviens normale, le paysage de dégage un peu (cad on y voit à presque 50 m !). C’est bon de sentir que la grosse difficulté est derrière et pour un peu on se sentirait presque léger. Nous traversons de grandes prairies d’alpage, toujours sous la pluie bien sur, entrecoupées de descentes dans les éboulis. Il va falloir attendre le km 20 pour atteindre le ravito.

Là c’est le vrai coup de barre après 4h15 de course : La pluie est tellement dense que le petit auvent censé abriter le ravito fuit de partout, nous dégoulinons et on se refroidit en moins de 5mn dans de telles conditions. Il y a une vingtaine de coureurs au ravito, des conversations s’engagent, puis j’entends les signaleurs appeler le PC de la course : « Je signale les dossards XXX et ZZZ : abandons au poste de ravito, merci d’envoyer la navette pour les récupérer ». A ce moment je surprends le regard du coureur qui est à ma droite en train de lire mon N° de dossard…. Visiblement curieux, il est à la recherche des « abandons » sans doute pour les toiser du regard… Ah non, pas moi !! Moi je n’abandonne pas, tout trempé et dépité que je suis !! D’ailleurs Marie ne me laisse pas le temps d’y réfléchir, elle s’arrache sous le déluge et me fait signe de la suivre, je fonce tête baissé en réajustant précipitamment mon camelbak, quel comble de transporter de la flotte sur son dos en plus !!!!

Nous attaquons les derniers 400 m de dénivelé dans la forêt, puis traversons une grande prairie d’altitude. La pluie encore et toujours… Le sentier piétiné par des centaines de coureurs et une véritable patinoire. L’arrivée approche, je m’enflamme un peu (c’est un classique) et vlan je me ramasse de tout mon long dans la gadoue. Me voila décoré pour la traversée du village qui arrive enfin après les derniers km de descente sur un bon chemin stabilisé, quel luxe !

En 6h17, je termine dans les profondeurs du classement. Mais j’ai ma petite victoire, partagée. Et surtout l’envie d’y revenir… l’année prochaine sous le soleil ?

Pour l’instant c’est Lundi matin et je pense que je vais bientôt tenter de me lever de ma chaise…
 

 

 
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