Les Templiers 2008

Par Jean Claude Soudieux


Nant

Au podium, je retrouve l’homme au fusil, le Maire de Nant !

Samedi, nous sommes partis de bonne heure pour arriver suffisamment tôt à Nant. Nous voulions voir les coureurs du club engagés dans les compétitions de l’Apres midi. Les premiers concurrents du Marathon des Causses, arrivaient ! Un Monsieur d’un certain âge, un senior comme on dit, engage avec moi la conversation : 44 km, c’est énorme me dit-il et me montrant l’un des quinze premiers arrivés, « Il tient plus debout ».Je réponds : non, il a seulement un peu mal aux jambes. Ce Monsieur me considère uniquement comme spectateur comme il l’est lui même. Je ne cherche pas à le démentir davantage. Apres tout, nous sommes tous les deux des seniors au sens le plus généralement employé, et je dois avoir plus le profil du spectateur que celui du coureur.

Dimanche, il doit être 3h12/ 4h. Dans la chambre contiguë à la notre, çà s’agite. Il va falloir se résigner à se lever. Un petit déjeuner très matinal dans la salle du restaurant, avec d’autres lèves tôt, puis chacun s’équipe. Il est prévu trois où quatre degrés au départ et quatorze l’après midi. Il faut partir sans avoir trop froid, mais dans l’après midi dans les combes ensoleillées il fera peut être trop chaud. Quadrature du cercle bien résolue par les adeptes du « technique », coté vestimentaire .Quant à moi, même si j’ai fini par renoncer au lait concentré sucré classique du commerce, au profit de boissons énergétiques, je reste toujours le rétrograde du peloton. Au fait, c’est quoi, la VMA ?, j’ai toujours couru au feeling et même partir exceptionnellement équipé d’une montre est déjà une concession à la modernité.

Dehors le ciel est étoilé, et la nuit est fraîche. Mauvais début, je perds les compagnons de chambrée. Perdus José, les deux Laurent, Franky, Jean François, Fred, Georges, tous perdus. Il faut se résigner à se mêler seul à la foule des 2700 partants. L’avantage, c’est que la chaleur animale du groupe atténue la sensation du froid. Le micro débite en permanence des informations, des interviews des plus connus des traileurs nationaux présents, leurs exploits passés et leurs espoirs. L’un d’eux déclare tout de go « Il faut être jeune pour participer à cette course ». Je fais un peu la moue, un voisin tout proche le remarque et me sourit sans rien dire d’un air entendu.

Cinq heures quinze, le rite du départ des Templiers se met en marche. Les fumigènes rouges s’allument simultanément dans la nuit noire. Ameno la musique traditionnelle de la course envahit les hauts parleurs. Départ au fusil tiré par le Maire de Nant. C’est la cinquième fois que je m’élance dans cette compétition que j’avais juré de ne plus recourir après ma première participation il y a déjà sept ans.

72 km et 3100 m de dénivelé, mais quelle ambiance ! Le parcours, bien que nouveau pour cette année, était imprimé dans ma tête. Pour faire simple deux grosses difficultés et trois autres plus modestes sur le profil, mais avec l’addition des km les difficultés moyennes valent bien les grosses.

Au début, quelques km sur route à faire pour étirer le peloton et limiter les bouchons dans les sentiers plus étroits. J’avais donc décidé de partir juste un peu « trop vite » pour éviter le risque d’attente, puis de ralentir. Manifestement, les autres participants avaient « pensé » de la même manière, de telle sorte que ceux qui m’entouraient allaient au même rythme. Les treize premiers km, essentiellement en pente douce, nous amènent au village de Sauclières. Vingt minutes d’avance sur la première barrière horaire éliminatoire, pas de soucis, premier petit ravitaillement avant que la pente ne se relève, mais sans excès. Premier contre temps, il me faut impérativement m’arrêter pour m’isoler dans les sous bois. La nature à ses raisons auxquelles il faut bien se soumettre.

Il fait encore nuit, je perds un gant, heureusement j’ai la frontale, mais surtout de nombreux coureurs passent. Dommage, je vais les retrouver devant moi dans les bouchons. Dans un petit espace d’une dizaine de mètres, je donne un coup d’accélérateur pour doubler un paquet de coureurs, un bénévole posté là m’interpelle lisant mon nom sur mon dossard« On se calme Jean Claude ! »

Une succession de petites relances pour remonter quelques paquets, mais sans pour autant dépenser trop d’énergie, la route est longue. Nous approchons de St Guiral, la première difficulté sérieuse. Le jour se lève, le soleil est matinal ce jour là. Nous passons rapidement de la sensation de grande fraîcheur à celle de chaleur, d’autant plus que la pente devient rude. Un terre plein, c’est le moment de passer au moins partiellement de la tenue d’hiver à la tenue d’été. Nous sommes nombreux à le faire en même temps, mais d’autres continuent et nous allons à nouveau les retrouver dans les bouchons.

Au détour d’un sentier, je vois Georges, le rejoint et l’incite à courir de concert avec moi. Ce n’était pas son jour à Georges, pourtant bien préparé, il n’allait pas bien du tout. C’est comme cela le sport, parfois çà marche, parfois çà ne marche pas. Nous passons tous par là un jour où l’autre. Je l’interroge : Où est Francky, devant ?derrière? Devant me dit il avec un quart d’heure d’écart. Je mesure l’ampleur du dégât, le temps perdu dans les bouchons. Je devrais être à peu près avec Francky. J’essaie de positiver en me disant que j’ai aussi récupéré à chaque arrêt dans ces satanés bouchons. Georges malade décroche aussitôt.

Presque en haut de St Guiral, j’avise une vire avec vue superbe sur la vallée, je décide de passer complètement à la tenue d’été, je fourre tout dans le camelback : pèle mêle tee-shirt manches longues, frontale, gants, bonnet, réorganisation rapide des victuailles emportées. Georges revient à la faveur de cet arrêt technique. Il semble aller mieux, j’espère pour lui que la situation va continuer à s’améliorer.

Maintenant la longue descente vers Dourbie. Elle est belle cette descente, j’en profite pour remonter des groupes en courant sur l’herbe le long du sentier où cheminent tous les coureurs. Je sais que je dépense un peu trop d’énergie en passant dans l’herbe, mais je dois absolument passer devant tout ce monde. Objectif : arriver au ravitaillement de Dourbie avant eux, pour ne pas perdre de temps, me ravitailler assez vite pour repartir de Dourbie devant le plus possible de concurrents arrivés là avant moi. La récupération sera un peu trop brève, je compenserai en remontant plus lentement vers la grosse difficulté de la crête du Suquet, Le calcul s’est avéré juste, terminé les bouchons après Dourbie au km 37.

La montée du Suquet, une jolie grimpette, nous nous connaissons bien elle et moi. Et finalement je l’aime bien avec son long serpentin de coureurs devant et derrière. Tout le monde monte sagement en silence, en regardant le paysage. Cette montée est dure, mais à ce stade de la course, nous n’en sommes qu’entre les 37 et 40 ème km environ et la fatigue est encore modérée. La longue redescente sur Trèves ne permet guère de récupérer; les cuisses sont sollicitées en permanence pour freiner tant la pente est sévère. Désormais les coureurs qui me côtoient vont sensiblement à la même vitesse, plus d’attentes intempestives dans les passages étroits. En bas de cette descente, un beau virage apparemment facile se présente. Un bénévole lisant mon prénom sur le dossard me crie Jean Claude…., à cet instant je ripe des deux pieds et me retrouve dans les pâquerettes les quatre fers en l’air. Le bénévole reprends « je voulais te dire attention çà glisse, mais je n’en ai pas eu le temps !

Nous arrivons à Trèves. Les autres années, c’est vraiment la trêve le temps d’un ravitaillement. Cette année point de trêve. C’est la remontée immédiate vers le Causse Begon, Le ravito ce sera après être remonté sur le Causse Cette remontée est relativement facile et régulière, c’est néanmoins quelques hectomètres de dénivelé positif en quelques km de marche. A l’arrivée au village, après 52 km de course c’est la grande foule des spectateurs.

Accueil coloré, tonitruant, encouragements, applaudissements. Nourris. Tous les superlatifs à notre égard y passent : super, fantastique. C’est un excellent public. Un bénévole avisant mon dossard, me crie incrédule V4 ? , Oui V4

Le ravitaillement est le bienvenu. On recharge la chaudière avec les pâtes de fruit où le pain d’épice. On recharge les batteries par une petite pose. On recharge le bidon d’eau quasiment vide. Les barrières horaires ne sont plus une menace, ma marge de sécurité est devenue substantielle. Je ne m’intéresse plus du tout à cet objet appelé montre, où même chronomètre par les spécialistes. Toujours mon bon vieux feeling, mes jambes savent mieux que quiconque quel est leur état de fatigue du moment, et ce qui les attend. Elles ont chacune dans leur tête le profil de la suite du parcours.

Nous quittons Causse Begon en terrain facile, une remise en jambe assez douillette, avant de nous diriger vers une descente gentillette qui nous conduit à St Sulpice. Nous mangeons notre pain blanc. Ce qui nous attend ensuite c’est autre chose. La remontée versant St Sulpice est assez banale dans sa première moitié, puis nous arrivons dans une sorte de cirque boisé. La conformation du terrain implique manifestement une sortie par le haut de cet immense entonnoir. Mes yeux cherchent à deviner l’itinéraire quand ils se portent sur ce qui pourrait être un troupeau de chèvres. C’est en fait un groupe de traileurs accrochés sur une pente très raide et de surcroît en plein soleil. Un peu plus loin et à proximité du bord supérieur de l’entonnoir un autre groupe se trouve dans une pente similaire. A mon arrivée à ces endroits, un bouchon se forme. Cette fois, personne ne me bloque. Le souffle court, je suis moi-même un élément constitutif du bouchon et j’apprécie les poses imposées comme un salutaire répit. Cette montée de St Sulpice je la rebaptise sine die montée de St Supplice.

Un bénévole voit mon dossard et me dit V4 !, tu es un modèle Jean Claude ! Quoi ! moi, un modèle ! Quelle surprise ! Je vais en parler dans mon entourage, personne n’est au courant et surtout pas moi.

Un apaisement e provisoire nous attend après. Un cheminement au bord du Causse, en dominant la vallée, encore un paysage superbe. et qui plus est, en terrain plat. Excellent pour le moral et la récupération. Mais les organisateurs ne nous laissent de répit que pour mieux nous distiller d’autres difficultés après. La descente sur Cantobre est très technique, nous étions prévenus. Un savant mélange de rochers, de racines, en pente raide, nous conduit jusqu’au ravitaillement de Cantobre au km 64,5. La fatigue est maintenant bien présente. Les barres de céréales et autres produits sucrés sont devenus difficiles à avaler, je choisis de varier le menu et consomme un peu de fromage, mon bidon d’eau n’a pourtant pas de fuite, mais il est presque vide à chaque arrivée sur un ravitaillement.

Sur le sol, en grande lettres rouges est inscrit : arrivée 7.5 km .Dans un premier temps, la montée est difficile, elle devient plus humaine ensuite, mais elle est interminable. Passage d’une dizaine de mètres sur une corniche large de 80 cm, à gauche la falaise à droite le précipice. Un bénévole est chargé de la sécurité. Un dialogue s’engage « t’es V4—Oui, mais je n’y suis pour rien, c’est parce que je suis né il y à longtemps.—Quand même t’es là. Serres moi la main. Décidément le grand âge fait recette. Je termine la montée assez facilement, et paradoxalement, je prends un grand « coup de buis » sur le plateau, en terrain bien plat et sans obstacles. Ensuite la descente, la dernière, Nant est en bas Les informations du micro parviennent à mes oreilles. Le « coup de buis » s’estompe, et la fin du parcours se fait en courant. Sur les derniers hectomètres, la foule est dense. Un groupe de coureurs extravertis me double en gesticulant, hurlant leur joie de terminer. Ils attirent sur eux l’attention de tous, et je passe la ligne d’arrivée juste derrière dans le plus grand anonymat.

Immédiatement après, je me dirige vers la grande tente du ravitaillement pour récupérer un peu , boire beaucoup et avaler quelques aliments solides. Je consomme un délicieux yaourt quand arrivent José Carrat et son compère Laurent Bourgeois. Ils me disent : On t’appelle au podium, t’es premier V4. Ils me frayent un passage dans la foule dense à cet endroit.

Au podium, je retrouve l’homme au fusil, le Maire de Nant, celui là même qui avait donné le départ une douzaine d’heures auparavant. Il me remet la récompense du premier de la catégorie, pendant que le speaker insiste sur mes soixante dix printemps.

Epilogue particulier, pour quelqu’un qui n’a été inscrit à cette course que le 9 Octobre, alors que les engagements étaient clos depuis Juillet. Jose Carrat et Laurent Bourgeois, et la « bande » des traileurs patentés avaient trouvé le moyen de me dénicher le dossard d’un traileur inscrit, mais finalement indisponible. Il ne me restait plus qu’a être au départ, et tant qu’à faire à l’arrivée.

 
Foulée Royale - 9 Juin
Bannière
Bannière
Mécène - Art Dan
Bannière