Le Marathon des Sables

Par Jan Hayon

 

 

2 Avril - Arrivée au bivouac

Le trajet en bus est long. J'aurais aimé en profiter pour dormir un peu mais le sommeil ne vient pas. Probablement l'excitation à l'approche de cette épreuve que je prépare depuis un an.
 
Nous découvrons le parcours avec les road-books qui nous ont été distribués. Des sentiments mélés de joie, d'étonnement, de satisfaction ou même d'effroi. Il nous faut "digérer" tranquillement ce tracé, le mémoriser pour y prendre, le moment venu, le maximum de plaisir.
 
Nous voyons approcher le bivouac mais les bus ne peuvent pas y accéder. Nous devons monter et nous entasser tant bien que mal dans des camions militaires. Bringueballés dans tous les sens, nous arrivons sains et saufs sur le bivouac.
 
Arrivés par le premier convoi et accueillis par la sympatique équipe des commissaires bivouac, nous pouvons prendre une tente proche de l'entrée, la n°6. La tente n°6. Celle des DocRunners et de Bruno et Vincent, 2 amis de Christophe avec qui l'entente est très vite excellente. Nous ne sommes plus 5, nous sommes 7, solidaires et attentifs les uns aux autres.Première nuit sur le bivouac, sous la tente berbère. Une fois de plus j'ai un peu de mal à trouver le sommeil. Et je ne suis pas le seul.
 

3 Avril - Journée des contrôles

C'est la préparation du sac avec lequel nous devrons passer la semaine. Après le contrôle, nous n'aurons plus d'autres affaires. Autonomie, autonomie. Je fais mais dernières modifications de menu au vu des distances et des profils des étapes à venir. Derniers ajustements techniques aussi, avec l'ajout d'un bout de matelas de sol qui sert finalement à renforcer le dos du sac et qui permet une réelle amélioration du confort sous la tente la nuit. L'expérience de Bruno et Vincent nous sert déjà.

Premières séances photos des DocRunners, premiers fous rires sous la tente. Puis se dégourdir un peu les jambes en allant trottiner 20 minutes avec les deux derniers arrivés de la tente. Encore quelques conseils qui me seront utiles durant la semaine.

Rencontres avec d'autres concurrents, déjà connus ou découverts ici. D'anciens concurrents soignés lors d'éditions précédentes. Nous sommes du même côté du pansement qu'eux cette année. Rencontre aussi de Laurent, Lolo, un sérieux concurrent. Je le suis depuis quelques mois par l'intermédiaire de son site. Sa rencontre, ainsi que celle des autres coureurs de sa tente, la 21, a beaucoup compté pour moi sur ce Marathon des Sables. C'est un côté magique de cette épreuve.

Nous retrouvons aussi les contrôleurs et les Docs lors des contrôles technique et médical. Nous sentons une certaine émotion de part et d'autre, y compris des nouveaux de l'équipe médicale ou de l'organisation.
Couché tôt, j'ai encore du mal à trouver le sommeil cette nuit. Rien d'étonnant, le départ... c'est demain matin.

Etape 1 : Premiers pas dans le désert

Premier repas en autonomie de bon matin, distribution d'eau, faire le sac. C'est parti pour la première journée, c'est parti pour le MDS. Nous voilà tous les sept dans la zone de départ, sac au dos, dossards épinglés. Le briefing matinal de Patrick Bauer auquel nous aurons droit à chaque départ d'étape. Le départ approche. Nous nous encourageons les uns les autres et nous souhaitons une bonne course. J'ai été très ému par ces instants et le départ. Un peu tendu aussi. Je me suis tellement souvent imaginé ce moment. Et ça y est. J'y suis. Je cours dans le désert. Je ne me laisse pas emballer par le rythme des autres et je me mets un peu à l'écart. Je veux faire ma course, à mon rythme et prendre du plaisir. Les passages sont variés, cailloux, sable, oued, crevasses, plat, une passe dans un djebel. Puis le premier CP (check point) arrive... c'est amusant d'être de ce côté. Je prends ma bouteille et repars sans m'arrêter. Les encouragements des contrôleurs et des docs me poussent. Véro, Thierry, Carole, Hélène, Sophie, Fred, Eddy, Claire et tous les autres, que vos encouragements ont été précieux pour moi. Mille mercis à vous.
 
Premières dunettes, puis nous sommes sur un tracé déjà utilisé l'année dernière. Cette première étape est difficile. Il fait très chaud et le terrain est technique, mais conforme à ce que j'attendais.
 
 
 
Encore un CP que je passe vite, encore des encouragements. Dernière montée en musique puis une longue ligne droite jusqu'au bivouac. Les sensations ne sont pas excellentes mais je me laisse porter par la joie d'être là. J'ai tant souhaité cette course. Je franchi la ligne, heureux de cette première étape avec le sentiment d'avoir fait ce que je voulais faire. Déjà prêt dans la tête à repartir le lendemain. C'est alors que l'on m'annonce ma place, 96ème. Surpris, l'émotion m'envahit et je ne peux retenir mes larmes. Jamais je n'aurais espéré un jour être parmis les 100 premiers sur une étape du MDS. Mes équipiers arrivent un peu plus tard. Ils ont plus souffert de la chaleur sur cette étape difficile. Repos, boire, manger, l'état de chacun s'améliore au cours de la journée et nous voilà prêts à affronter une nouvelle étape. Cette place parmis les 100 me trotte dans la tête. j'en suis content et fier même si j'ai du mal à y croire. Mon MDS est d'ores et déjà gagné. Je n'ai plus qu'à continuer à me faire plaisir sur les autres étapes. Que les autres de la tente finissent ce MDS et je serai heureux.

 

 

Etape 2 : La Montagne

35,5 km, typés trail. L'étape de montagne de ce MDS. Celle que j'attendais le plus avec la longue. L'ascension du Djebel El Otfal, 25% de pente moyenne, nous attend après 30 km de course. Je me sens bien, très heureux d'être sur la ligne de départ avec mes compagnons. Les jambes sont impatientes de dérouler mais je freine un peu mon rythme jusqu'aux premiers reliefs. Je m'aperçois que c'est une partie que j'avais aidé à baliser l'année dernière. Le plaisir de m'y retrouver comme coureur me fait lacher les chevaux; ascension en marche rapide et descente droit dans la caillasse (j'adore!) me permet de reprendre beaucoup de monde. Puis un long plat où je reste patient jusqu'au CP1. Derrière c'est une ascension et un magnifique parcours sur les crêtes. Je branche la musique et me laisse entrainer par le rythme... et ça va vite jusqu'au CP2, grand plaisir. Je ralenti sur le long plat que certains diront roulant. Le mot d'ordre c'est "courir", même lentement, ne pas marcher. Le CP3 se rapproche et derrière c'est le Djebel El Otfal.

 
Le rythme change après celui un peu monotone du plat. J'accélère progressivement, ce qui me permet de reprendre den nombreux concurrents dont certains bloquent dans ce terrain accidenté. Je m'y sens très à mon aise et le sommet arrive vite. Un bon groupe s'engage sur la pente finale avec la main courante. Je décide de passer au dessus, dans les rochers. Le terrain est plus escarpé mais plus porteur . Je poursuis mon rythme élevé et passe ainsi une quinzaine de coureurs. 25 minutes du CP au sommet. J'enchaine directement sur la descente technique et merveilleuse. Je continue à passer des coureurs moins à leur aise. Il fait vraiment chaud. Je suis surpris par des odeurs de fleurs en plein désert, de la verveine. Après la descente, de jolies dunes où je choisi mon chemin à distance des traces déjà faites. Sensation d'euphorie, je cours facile, je m'amuse comme un fou jusqu'à la ligne.
 
Quelle belle journée, quelle belle étape. J'ai à nouveau les larmes aux yeux. Puis j'entend: "72ème de l'étape"! J'ai du mal à y croire et je ne retiens plus mes larmes. Dans les 100 premiers à nouveau. Félicitations et encouragements. Il va peut être faloir que je m'y fasse. L'année d'entrainement semble payer bien plus que je ne le pensais. Les félicitations de Lolo me touchent tout particulièrement. Lui aussi a fait une belle étape. Mes compagnons arrivent un à un. Tous vont bien, mieux que la veille. Bravo à tous. Une soirée sous la tente tous ensemble, bonne humeur au rendez-vous. Je flotte sur mon nuage au milieu du désert.

 

Etape 3 : la cuisson, vous la voulez comment ?

Troisième jour de course. Les 2 étapes précédentes n'ont pas laissé trop de traces. Quelques douleurs aux épaules avec le sac, mais les jambes vont bien. De petites ampoules sur les pieds, vite soignées.

La 3ème étape s'annonce roulante: 40 km de plat, très peu de relief et relativement peu de sable. Le départ se fait à un bon rythme et j'arrive à suivre. Après le relief franchi facilement, j'arrive vite sur le CP1 et le passe sans m'arrêter. Le peloton s'étire et je garde un bon rythme. Je reste en compagnie d'Andrea (dossard 627), un italien fort sympathique, et nous échangeons quelques mots. Nous nous reverrons souvent sur le reste de la course et partagerons des moments forts. J'atteind alors le lac asséché puis le CP2. J'en repars rapidement mais la température dépasse les 45°C et il n'y a que peu de vent, une vraie fournaise dans laquelle je reste scotché au sol. J'ai du mal à courir avec cette chaleur. J'alterne marche et course comme la plupart des autres coureurs. La chaleur m'oblige à garder l'eau uniquement pour boire et je dois arrêter de m'asperger. Une gestion de l'eau très importante dans ces conditions vraiment difficiles. Le lac asséché n'en finit pas, un grill géant. J'avance tant bien que mal et atteind finalement le CP3. CP... Cuit à Point! C'est le sentiment que j'ai. Il n'y a plus que la tête qui me fait avancer. Il faut finir l'étape alors cela ne sert à rien de trainer. Mais ça finit où? Deux grosses dunes à franchir et le bivouac est là. Ouf! il était temps! J'adore la pierrade, mais pas pour courir dessus.

je me dis que les choses reviennent dans l'ordre. Je suis tellement à la ramasse que je ne dois pas être dans les 150 premiers. Une étape vraiment difficile où mes sensations n'ont pas été bonnes sur la deuxième moitié du parcours. Mais on m'annonce une fois de plus une place inattendue, 76 ème. Il va peut-être falloir que je m'y habitue. Tout le monde a eu du mal dans cette étape. J'essaie de me reposer un peu, de récupérer et de gérer l'eau qui semble un peu juste jusqu'au lendemain matin. Ce n'est pas chose facile avec cette chaleur. Arriveront quelques temps après Christian, Marie puis Domi. Vincent n'arrivera que plus tard en compagnie de Domi, Christophe et Bruno qui a eu plus de mal sur cette étape. L'arrivée un peu tardive de Vincent m'a inquiété. Il a choisi de rester avec ses copains. Belle course.

Nous récupérons tous plus ou moins vite et je me replonge dans le road book pour préparer la 4ème étape de 82,2 km. Une étape redoutée par beaucoup que j'attends avec impatience, me sentant plus à l'aise sur les très longues distances. Je vais jeter un coup d'oeil sur le classement: 72ème au général. Ouf! Je partirai donc à 9 h. Les 50 premiers partiront eux à 12 h, Lolo et Khier en font partie. Une attente pas forcément facile à gérer.

Il me faut aller dormir... demain je vais m'éclater.
 

Etape 4 : la longue, la belle

La redoutée, la myhtique, la terrible, la décisive. Chacun peut la nommer à sa guise. Pour moi c'est celle que j'attendais avec impatience. J'adore les longues distances. Départ 9 h, seuls les 50 premiers du classement et les 5 premières féminines partent à 12 h. Lolo, Khier et Laurence en feront partie. Au programme, 82,2 km, 6 CP, de la montagne, plus de 20 km de dunes, des lacs asséchés, des oueds et des plateaux caillouteux. Comme à mon habitude je pars à mon rythme, un peu à l'écart sur cette première ligne droite de près de 13 km. Nous nous approchons du Djebel Zireg, mélange de sable rouge et de montagnes magnifiques. J'arrive au CP1, au pied des montagnes. Je me sens vraiment frais. Mathieu, un caméraman, m'interview: "comment gère t'on une étape de plus de 80 km?" Ma réponse est simple: " à la sensation, au plaisir. Il y a forcément des moments plus difficiles, il faut continuer à avancer même lentement." (voir l'interview).

Dès la sortie du CP nous partons dans la montagne. Je reste sur la ligne de balisage et me demande pourquoi tout le monde est parti plus à droite sur le haut de la bosse. Cela me permet déjà de reprendre beaucoup de monde, j'arrive à courir là où je suis alors que tout le monde marche. Nous franchissons un col pour découvrir une vallée de sable au milieu des montagnes. Je rejoins Andrea, mon ami italien, pour faire un petit bout de chemin ensemble avant qu'il ne parte devant. Je continue de courir tranquillement, je sais que le chemin est encore long. Encore du relief à franchir où je me fait plaisir avant de plonger dans une gorge qui nous amène au CP2. Déjà 26 km de parcourus, toujours en forme. Je discute avec Fred, responsable médical. il s'inquiète de la santé de ses DocRunners. Mais il faut penser à repartir pour 3,5 km sur un lac asséché. Je garde en mémoire celui de la veille où j'ai cuit. Celui ci est plus court et je ne baisse pas de rythme jusqu'à l'entrée de la passe qui nous conduit à l'oasis d'El Maharch. Le riad, la verdure, les palmiers appellent à la farniente... ce sera pour une autre fois. Pour le moment c'est un désert de cailloux qui nous attend. Je le traverse à une vitesse encore correcte.

CP3, 39ème km, je m'octroie une courte pose et quelques étirements. Je redoute la partie à venir, une traversée de l'Oued Rheris de 10 km, terrain sur lequel je suis peu à l'aise. Je décide d'alterner course 15' et marche 5'. Mais les minutes sont interminables et j'ai vraiment du mal à avancer, la chaleur n'arrangeant pas les choses. Je mets la musique et m'impose de boire à chaque nouveau morceau. Ne pas prendre de retard sur l'hydratation. A la vue du CP4 je retrouve toutes mes forces et la course est plus facile. Je sais que j'aime le terrain qui va suivre. L'arrêt est plus long à ce CP pour vider le sable des chaussures (comment est-il entré?). Il est 16 h30 et je décide de m'équiper pour la nuit. Je range la casquette et les lunettes, mets la frontale à portée de main et fixe le stick lumineux sur le sac... pas d'arrêt prévu jusqu'à l'arrivée... 31 km plus loin. Mais les deux premiers du classement me passent comme des fusées alors qu'ils sont partis 3 heures après moi, impressionnants. Au moment de partir du CP j'entend sur la radio des docs "dossard 226 à checker au CP4". C'est Christian. Fatigué et pas assez bu. Sûr qu'il saura gérer ça.

Je repars à l'attaque des dunes avec une énorme envie de courir. Moi qui pensais ne pouvoir y être avant la nuit, voilà que je devrais arriver à franchir cette section de dunes entièrement de jour. MP3 branché dans les oreilles, Orange Blossom, U2 et Muse m'accompagnent sur ces grandes dunes. Instants inoubliables de bonheur. J'aperçois une voiture commissaire, celle de Joko avec qui j'étais l'année dernière dans ces mêmes dunes. Il surveille la course avec Ben et assure le balisage de nuit sur cette section. Il m'accompagne à distance sur cette traversée et jusqu'au CP5. Seul à courir sur des dunes en plein désert en ayant un ami attentif pas loin... vraiment inoubliable.

Une passe dans la montagne, un bout de lac asséché puis le CP5... Joko est là. Je me sens vraiment bien pour enquiller sur les 20 km qui restent. Je me lance dans les dunes à nouveau avec le jour tombant. Je peux encore choisir mon chemin et prendre les endroits vierges de traces où le sable porte mieux. Les concurrents très éparpillés marchent pour la plupart. Je cours de mieux en mieux. Je suis euphorique mais arrive à rester lucide et continue à m'alimenter et boire entre chaque morceau de musique. J'allume ma frontale. Je ne vois que très peu de lumières devant moi. Le balisage est bon mais il faut rester attentif. Puis voilà le CP6 plongé dans la nuit. Je le rejoins plus vite que prévu. Véro et Marie-Danielle sont là. Leur présence est réconfortante, mais je ne m'arrête pas. J'ai l'impression que pas mal de coureurs prennent un peu de repos ici. Je suis vraiment bien et sens que je peux finir vite. Le terrain est porteur et un peu vallonné. Je reprends un coureur, puis 2, 3, 5. Ils marchent, je cours à un bon rythme. Au sommet d'une bosse apparait le bivouac au loin. Impossible de dire la distance, mais loin. C'est une joie immense, quelle belle étape. Encore un concurrent devant, j'accélère et le rattrape. C'est Andrea qui marche, il va bien, je l'encourage et le motive. Il finira, c'est sûr et je reprends ma course, encore plus vite. Cette fois la ligne est proche, je lâche tout sur la musique d'Era, Ameno. 12h05' pour avaler les 82,2 km, à peine plus d'une heure pour les 10 derniers kilomètres. Cette fois je suis conscient d'avoir fait quelque chose de bien.

Toute l'équipe médicale du bivouac est sur la ligne d'arrivée, ainsi que les contrôleurs. J'ai envie d'embrasser tout le monde d'un coup. Un sentiment de pleinitude. Puis un autre coureur arrive: Andrea qui s'est remis à courir quand je l'ai laissé. Congratulations, embrassades, nous partageons des instants uniques.

Mais il faut bien se reposer et je vais doucement vers la tente et m'y allonge. Les coureurs arrivent un à un... puis Vincent entre dans la tente, Génial! Il finit fort lui aussi. Nous nous attelons à retirer les cailloux sous les tapis et là, surprise! Un nid de fourmis qui grouille. On ne peut pas rester ici et nous demandons à ce que la tente soit déplacée. il nous faut attendre une bonne 1/2 heure pour cela. La fatigue s'installe peu à peu. Manger, boire, un brin de toilette, s'allonger et se calmer pour essayer de trouver le sommeil. Vincent dort déjà. Les images de la journée me reviennent, j'espère que ça se passe bien pour les autres, nos compagnons de tente, pour Lolo, Laurence et Aurore, Khier, nos voisins ch'ti de la tente 4. Pour certains la nuit sera longue, d'autres n'arriveront que le lendemain.
 

Journée de repos (2ème jour de l'étape 4)

Je ne me souviens pas avoir vu Marie et Christian arriver. Bruno, Domi et Christophe ont fini l'étape vers 4 h du matin. J'ai ressombré vite fait dans mon sommeil. Au petit matin, nous pouvions nous féliciter d'être déjà tous arrivés et donc de pouvoir profiter de cette journée de repos, alors que d'autres concurrents n'arriveront que dans la soirée. Mais qu'y a-t-il à faire lors d'une journée de repos en plein désert?

Farniente. Sieste. Rester allongé, ne pas se dépenser inutilement. Envoyer un mail ou deux. Je n'ai pas eu le courage de faire des étirements, je n'en ai pas ressenti le besoin, pas de douleurs particulières. Faire quelques massages à Bruno qui lui avait des contractures aux mollets. Prendre soin de soi. Nous avons eu la chance de n'avoir que de petites ampoules que nous avons soignées nous même.

Manger. Boire. Et aujourd'hui c'est fête! Distribution d'une boisson par l'organisation. Pour moi c'est coca. Cela fait du bien de boire autre chose que de l'eau tiède ou agrémentée d'arôme de boisson énergétique, même si je n'en suis pas encore écoeuré. C'est fête aussi pour manger, Marie sort des noix de cajou, Christian de petits saucissons apéro et Vincent... des fraises tagada qui méritent acclamations.

Puis faire le tour des copains sur le bivouac. Andrea dort. Lolo récupère de sa belle étape et se soigne les pieds bien abimés. Sylvie attend son Michel. Laurence lance une machine (fait un peu de lessive). Je retourne à la tente pour en faire de même. Le short, comme tous les jours, les chaussettes et les manchons de compression. Puis je fait de même pour Christophe qui lui est parti au travail... Il avait confié en partant un sac de matériel de dentiste à l'équipe des Docs, pour faire des soins urgents et aux gars de Bachir qui s'occupent de monter le bivouac. Il a travaillé ainsi facile 4 heures. Un gars vraiment extraordinaire de gentillesse et de patience, toujours avec le sourire. Sacré Christophe.

Nous recevons aussi de la visite sous notre tente. Patrick, nos ch'tis d'à côté, des docs, des commissaires bivouac et des contrôleurs...

Puis je me prépare à l'étape du lendemain: THE ETAPE MARATHON. 42,2km. Tout le monde dit que ça va être très rapide, que ça va attaquer dans tous les sens. Le terrain y est propice. Très peu de relief, terrain varié, quelques dunes éparses sur la fin. Je suis 53ème au général et si j'en suis là c'est que j'ai toujours fait ma course, sans tenir compte des autres. J'y ai pas mal réfléchi durant cette journée de repos. J'aime aussi me donner dans l'effort et courir vite, mais ce serait dommage de se blesser ou de se mettre en danger vues les conditions de course.

Alors.......  

 

Etape 5 : Marathon dans le sable

Alors....

Alors ma capacité à encaisser les étapes et les conditions de course, mon classement et celui de mes colocatires de la tente 6, les encouragements m'ont rendu serein. Alors je décide de garder du plaisir à courir. Je me remémore tous ces entraînements où j'ai eu du mal à finir et retrouver mon souffle, où les jambes faisaient mal, où je n'avais qu'une envie c'est que ça s'arrête. Mais non, je m'arrachais pour finir la séance.

Alors.... sur les étapes précédentes je ne me suis pas mis dans de tels états.

Alors.... aujourd'hui je donne tout! Un plan? Partir plus vite que d'habitude, ne pas ralentir, ne pas s'arrêter, s'arracher en cas de coup dur, puis accélérer et finir au taquet.

Alors.... le départ est donné et je pars plus vite que d'habitude... dans un terrain sans consistance, mou, même hors des traces. Mais je ne lâche rien. Guillaume est près de moi. 42 km, il sait gérer, me dit-il. Je décide de ne pas le perdre des yeux et je pense à Miguel, "accroches toi, Jan, accroches toi!" Alors je tiens. Le terrain change souvent, sable, herbe à chameau, cailloux, oued. CP1. Guillaume est là, Khier juste derrière moi. Les encouragements de tout le monde me stimulent. Je prends la bouteille et repars en courant. Déjà 13 km de parcourus. Ca va vite. Je maintiens le rythme et rattrape Andrea. Nous voilà tous les 3, avec Guillaume. Andrea aussi va bien et voudrait aller plus vite.

Alors.... C'est à trois que nous accélérons sur un terrain très accidenté mais porteur, puis un lac asséché. CP2 déjà. Arrêt de 10 secondes pour finir la bouteille. Plus que 18 km. Guillaume me distance de 50m, 100m, 200m, mais je ne le quitte pas des yeux. Je m'accroche puis reviens très doucement sur lui. Comme ça va vite !! Mais le moral est là. Alors j'accélère encore... le CP3 est là, restent 6 km. Pas d'arrêt. Pas de baisse de régime. Au contraire. La musique est forte. Les dunes approchent. Restent 4 km. Je donne tout jusqu'à la ligne. Je suis revenu sur Guillaume et le passe. Il m'a servi de lièvre jusqu'ici. Je lui dit de s'accrocher, de tout donner et que j'ai l'intention d'aller vite.

Alors.... je suis à la limite de la rupture, hors d'haleine, les jambes font mal mais je continue à tirer sur la machine. Je monte les dunes en courant quelque soit la pente et accélère dans la descente pour garder le rythme. Guillaume tient le coup dans ma foulée, super.

Alors.... la ligne est là. Je l'ai en point de mire. D'ailleurs je ne vois rien d'autre.... je m'écroule derrière la ligne. A 4 pattes, la tête dans les mains. Je reste hors d'haleine un temps fou, je n'arrive pas à retrouver mon souffle. Eddy, un doc, est près de moi. Je finis par récupérer. Guillaume vient vers moi. Il a pu suivre presque jusqu'au bout. Mais quelle aide il a été pour moi sur cette étape. 4h31 pour ce marathon au milieu du désert. 68ème de l'étape. Je suis complètement cramé. Jamais je ne m'étais autant donné sur une épreuve.

Et Vincent qui me suit à quelques minutes à peine. Après avoir retrouvé mes esprits, je me mets à chercher Sophie qui doit me rejoindre ici. Malheureusement elle arrive après moi sur le bivouac. Nous passons une partie de l'après midi et de la soirée ensemble sur le bivouac.
Mais il reste encore une étape. Même si elle est courte par rapport aux autres, elle fait tout de même 21 km dont 9 de dunes. Une fois de plus je me demande comment aborder cette étape. La faire tous ensemble ou courir à mon rythme? Mes compagnons m'encouragent à la faire à mon rythme et c'est ainsi que je la ferai. Nous nous retrouverons tous sur la ligne d'arrivée. 
  

Etape 6 : les dunes

C'est la dernière étape de cette magnifique édition du Marathon des Sables. Au bout, c'est la ligne d'arrivée. Celle qui nous permettra d'être "Finisher". Les jambes font mal ce matin, les mollets sont durs. J'ai l'impression d'être rouillé. J'essaie de trotter un peu. Je sens que les premières foulées seront difficiles. Nous voici sur la ligne de départ. Toute la tente n°6, en compagnie de Sophie. Les images de la semaine me reviennent. Quelle belle semaine. Quelle belle tranche de vie. Le départ est donné et ça part à nouveau vite. Ils ne sont donc jamais fatigués?! Je suis mon rythme malgré les jambes qui font mal. A l'attaque des dunes je me mets à l'écart comme à mon habitude, et me retrouve seul sur ma ligne de dunes. A la sortie de l'Erg, j'ai du mal à garder mon rythme, mais je m'accroche. Ca ira mieux après! .... ? Nous traversons un village fantôme, indiqué "ruines" sur la carte. Mais visiblement des gens y vivent, au milieu de rien, au milieu du désert. Ils nous regardent passer de loin. A notre question "comment peut-on vivre ici?" ils doivent répondre "pourquoi courez-vous?"

Alors que j'ai encore du mal à avancer, je vois Karim Mosta devant moi. Je décide de revenir sur lui, mais c'est au prix d'un gros effort. Je me câle derrière lui et ne le lâche plus jusqu'au CP. Et me voilà face aux dunes de Merzouga, immenses et magnifiques. A la fin de cette semaine bien remplie, l'effort à fournir est énorme. Mais j'en profite pleinement. Je continue de choisir le chemin qui me semble le plus facile. J'ai envie que ça ne s'arrête jamais, mais je suis déjà vidé. Je ne suis plus très lucide mais la ligne approche. Les derniers mètres sont terriblement difficiles. Puis la ligne est franchie. J'ai la médaille autour du cou. Puis les congratulations. Mais je ne trouve pas Sophie qui était en amont de la ligne. Je ne suis pas passé au même endroit que tout le monde et je ne l'ai pas vue. Je remonte le parcours avec elle pour accueillir mes compagnons. D'abord Marie, puis Christian que j'accompagne chacun leur tour jusqu'à la ligne. Arrivent ensuite ensemble Christophe, Domi, Bruno et Vincent. Nous franchissons tous les 7 la ligne. Ca y est! Nous l'avons fait, et de quelle manière. Je reste avec mes amis.

L'esprit flotte un peu et toutes les douleurs sont oubliées, même si elles n'ont pas disparu. L'émotion vient un peu plus tard. Je viens de vivre des moments exceptionnels que j'ai partagés avec mes amis. Un vrai sentiment de pleinitude. Une expérience inoubliable. C'était la dernière journée de course mais pas la dernière étape du Marathon des Sables 2010. Cette course, ces instants vivront encore longtemps en moi. Il me faudra certainement beaucoup de temps pour réaliser ce que j'ai fait. Pour essayer de comprendre. Christian, Domi, Marie, Christophe, Vincent et Bruno, Sophie et tant d'autres.... Merci. Grâce à vous, j'ai réalisé un rêve. 

 

 
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