Notre Ironman

Par James Highnam et François Trochu

 

 

Les débuts

James :

Le troisième whisky m’a été fatal. C’était en terminant ce verre d’un pur malt écossais que j’ai relevé le défi lancé par François et j’ai annoncé à tous que j’allais participer à l’Ironman également. Je me souviens précisément du moment où les mots sont sortis de ma bouche – un moment que j’allais revivre plusieurs fois dans les mois qui suivaient en me demandant comment, et si, j’allais pouvoir terminer le parcours de 3.8km de natation en mer, 180 km de vélo avec presque 2 000m de dénivelé et 42.2 km de course à pied pour couronner le tout. François m’a appelé le lendemain pour vérifier que j’étais sérieux dans mes propos de participation. Je lui ai répondu que la parole d’un anglais est son honneur et que je serais à ses côtés lors de l’épreuve en juin 2013. D’ici là, nous avions du pain sur la planche et il fallait que j’achète un vélo…

François :

Ça faisait un moment que ça me trottait dans la tête - faire un Ironman ! Cycliste à la base, j’ai découvert la « vraie » course à pied avec le club des Foulées de St Germain, mais il me manquait la natation. Je connaissais bien les longues distances en vélo, pour avoir participé par exemple plusieurs années de suite à l’étape du Tour ou à Paris-Roubaix, et j’avais aussi l’expérience de plusieurs marathons. Mais pour la natation j’étais, comme beaucoup, asphyxié  au bout de 50m en crawl! Un gros handicap pour s’attaquer aux 3,8 km de l’épreuve, et ma crainte au début était surtout de ne pas pouvoir terminer la natation avant la barrière horaire des 2h15mn !

Caroline, mon épouse, me poussait aussi depuis plusieurs mois pour l’Ironman (quelle chance !), et quand avec James on a parié de le faire ensemble après le fameux 3° whisky, cela a été le point de départ d’une année passionnante et intense de préparation, à la hauteur de l’événement.

Les entrainements

James :

Les premiers mois étaient très, très lourds en dépenses : l’inscription à la course (certes 2€/km est habituel pour la course à pied, mais cet événement comporte 226 km !), l’acquisition d’un vélo d’occasion, l’achat de chaussures et de vêtements de triathlon, … Laurence tenait un carnet virtuel où elle notait les achats et calculait le coût de ce troisième whisky pour mieux négocier nos prochaines vacances et un nouveau sac à main. J’avais fait du vélo de route quand j’étais jeune mais 20 ans s’étaient écoulés depuis et les premières sorties avec François étaient difficiles. Je m’accrochais à sa roue arrière et laissait l’aspiration faire le travail. Autre problème, les chaussures de vélo me faisaient horriblement mal. A la fin de chaque sortie j’avais une sensation de brulure sous le pied à l’extérieur. Surement dû à un manque de pratique je pensais naïvement.

Début 2013, et les mois passaient rapidement. Il était difficile de faire du vélo dans le froid et sous la pluie. Je me consolais avec la course à pied et quelques bonnes intentions d’aller à la piscine. François, avec son organisation quasi-militaire, me faisait peur : inscription à des cours de natation, abonnement annuel à la piscine, sorties régulières avec ses amis cyclistes, et entrainements de course à pied avec le club en semaine. A son instar, j’essayais d’instaurer une routine d’au moins une sortie à la piscine par semaine (minimum 2km de natation), une sortie en vélo avec François et ses amis et puis mes entrainements réguliers de course à pied le matin. Le changement de boulot ne facilitait pas la tâche avec un déplacement dans l’est de la France du lundi au jeudi, j’arrivais à courir tôt le matin mais la piscine et le vélo étaient réservés au weekend uniquement.

François :

Je savais que la clé du succès dans une épreuve aussi difficile était de faire un entraînement régulier, j’ai organisé mon emploi du temps en conséquence pour dégager 15h d’entrainement par semaine :

-   Natation : dès le mois de septembre, cours les mercredi et vendredi soir avec Caroline, à la piscine de St Germain, parfois le samedi matin. Cet entrainement a été véritablement déterminant dans mon résultat de l’ironman, la progression en natation est en fait très lente et est essentiellement basée sur la technique plus que sur la force. Nous avons été très assidus à ces cours, l’ambiance des cours était sympa, et au fil des mois je progressais, j’arrivais petit à petit à faire des plus grandes longueurs en crawl, à respirer tous les 3 temps, à gagner un peu en vitesse,… J’ajoutais également parfois des séances le midi en semaine à la piscine Suresnes.

-  Vélo : je m’imposais de rouler au moins 100km par semaine, et quand je n’y arrivais pas le week-end par manque de temps, j’allais au travail à Rueil en VTT. J’ai vite constaté la progression de James dans cette discipline, et notamment son aptitude dans les côtes. Quant aux descentes, je n’ai jamais réussi à le suivre longtemps, il allait trop vite pour moi !

-  Course à pied : 50km par semaine minimum, dont 2 entrainements fractionné ave le club et au moins une sortie longue de plus de 20km. C’est malheureusement beaucoup moins que les plans d’entraînement marathon que j’avais pu suivre, mais difficile de faire davantage avec un tel emploi du temps !

 

Le stage

James :

François m’a informé qu’il participait à un stage d’entrainement pour l’Ironman début mai à Nice. Il coûtait assez cher. Il fallait payer le logement en plus. Il fallait se déplacer. Je voyais plein d’arguments pour ne pas y aller et je pensais à la liste virtuelle de mon épouse… Laurence, cependant, était très réaliste et m’a vite convaincu qu’après avoir dépensé tant pour m’inscrire, il valait mieux faire les choses bien et prendre une semaine pour préparer la course correctement. Quand le vin est tiré, il faut le boire. Elle avait raison et cette décision était la meilleure décision depuis mon whisky.

35 participants au stage, organisé en 4 groupes en fonction des temps estimés pour la course à pied et la natation d’un côté et le vélo de l’autre. Guy Hemmerlin, ancien triathlète de haut niveau, animait le stage et focalisait les entrainements sur le vélo où nous manquions tous le temps de pratiquer pendant le travail. Nous allions parcourir 600km pendant la semaine et j’avais mal aux fesses à la fin. Nous avons travaillé l’ensemble du parcours vélo de la première cote, les Condamines, avec sa pente de 16% qui met les cuisses en feu, jusqu’à l’ascension du Col de l’Ecre et ses 1 100m d’altitude après 21km de montée. Je découvrais mes points forts en ascension et en descente et j’appréciais le travail de François dans les faux plats montants où je me collais dans sa roue.

Les autres athlètes présents au stage étaient remarquables. Plusieurs visaient un slot pour Hawaï, où il faut terminer dans les 3 premières places de sa catégorie d’âge de la course, pour assurer son inscription. Ils étaient surtout très forts en vélo et visaient des chronos bien en dessous de 5h30 pour parcourir les 180km, soit une vitesse moyenne minimum de 33 km/h. Néanmoins, à la fin de la semaine, je constatais de réel progrès : j’ai battu mon record de vitesse en descente à plus de 70 km/h, je suis resté dans la roue du groupe dans les faux plats montants aux alentours de 35 km/h et surtout, j’avais un mal aux cuisses permanent avec les efforts consentis.

Les entrainements de course à pied, trop peu nombreux à mon goût, étaient un réel plaisir. Finalement, je pouvais briller parmi le groupe en étant un des meilleurs de la discipline. En revanche, je suis très vite redescendu de mon nuage en enfilant ma combinaison de natation. Je ne pense pas qu’il y a un instrument de torture aussi efficace ailleurs sur terre. D’abord, il faut être contorsionniste pour la mettre. Le torse comprimé par une couche de néoprène, je me jetais à l’eau, littéralement, et j’ai découvert les autres inconvénients de la combinaison. Nager en pleine mer n’est pas pareil qu’à la piscine. On ne voit rien dans l’eau. Il n’y a pas de ligne au fond de la mer pour vous guider et pour vous assurer que vous nagez dans la bonne direction et quand on boit la tasse, on risque de vomir avec le goût de l’eau salée. Je suis sorti de cette expérience avec une brulure immense autour du cou. Le sel dans l’eau frottait avec la combinaison lors de chaque mouvement de bras avec un effet de papier de verre. Mon cou était à vif et rouge avec les frottements. Décidément, la natation n’était pas ma tasse de thé. Premier en course à pied, je m’améliorais en vélo mais en natation j’étais de loin le dernier du groupe. Confiant jusqu’à là, je me posais sérieusement la question de ma capacité de terminer cette première partie de l’épreuve.

François :

Je voulais absolument faire du vélo en montagne avant l’Ironman car je savais par expérience que pour une telle épreuve il fallait avaler du dénivelé. Plutôt que d’aller seul en montagne avec mon vélo, je me suis inscrit au stage de préparation dès que j’ai reçu la publicité par email, le programme me paraissait une bonne mise en condition, et James a suivi !

Ce stage a été effectivement une vraie révélation, la découverte réelle du monde du triathlon de haut niveau. Guy Hemmerlin notre entraîneur nous a appris énormément de choses, donné beaucoup de conseils sur la course grâce à sa très forte expérience. On a également bénéficié de l’expérience de plusieurs stagiaires déjà Ironman, c’était vraiment génial pendant cette semaine de côtoyer des triathlètes de très bon niveau, certains ayant été plusieurs fois au championnat du monde à Hawaï.

Les entrainements pendant la semaine ont été surtout axé sur le vélo, on a roulé tous les jours, jusqu’à 170km le jeudi, ce qui nous a permis entre autre de connaître parfaitement le parcours. On était dans le groupe 2 avec James, parfois on terminait les sorties avec le groupe 3, mais jamais avec le groupe 4 qui eux étaient vraiment trop forts pour nous ! 

Dans les sorties course à pied, on était assez à l’aise avec James par rapport aux autres, j’ai fini par conclure que les triathlètes étaient avant tout des cyclistes et des nageurs, avant d’être coureurs à pied. On a fait quelques enchainements immédiats entre vélo et course à pied, finalement moins durs que je ne l’imaginais.

Par contre les sorties en mer ont été très riches en enseignement et en émotion ! La première sortie a été terrible, je suffoquais les premières minutes de nage avant de me calmer de commencer à trouver une respiration régulière, j’avais envie de vomir à cause du mal de mer… En mer c’est très difficile d’avancer droit (« James ! Tu pars encore sur la gauche ! »), il faut apprendre à nager le crawl en sortant de temps en temps la tête de l’eau pour se repérer et recaler sa trajectoire, et avec les vagues c’est encore plus difficile ! Par contre le gros avantage de la combinaison de natation c’est que les jambes flottent toutes seules, donc on peut très bien nager le crawl sans agiter les jambes et avancer beaucoup plus vite qu’en piscine. J’ai d’ailleurs terminé mes derniers entrainements en piscine en mettant des palmes et sans bouger les jambes, pour simuler la flottaison avec la combinaison. Même si elles n’ont pas été nombreuses, ces sorties en mer pendant le stage ont eu le mérite de nous mettre en confiance, et d’être réalistes quant à la performance espérée le jour J.

 

La veille de la course

James :

La tension était palpable lors de mon arrivée à Nice. J’étais très stressé par la préparation de la course en me demandant si je n’avais pas oublié un élément essentiel. Arrivé en avion avec le premier vol le samedi matin avec Laurence, j’étais heureux de récupérer mon vélo sur le tapis des bagages. Un souci de moins. On a retiré mon dossard à l’expo par la suite et là, on nous a communiqué le créneau horaire pour déposer le vélo dans le parc vélo et laisser les sacs de transition.

Le stress de la course à pied peut être important : aligné sur le départ d’un 10km ou un marathon on a les boules à l’estomac et l’adrénaline augmente. Ce n’est rien en comparaison du triathlon. Du moment qu’on a les baskets au pied et la Garmin sur le poignet, on peut participer à la course à pied en compétition. Au triathlon, il faut imaginer mentalement chaque étape de la course pour préparer les affaires nécessaires : on sort de la natation et il faut mettre les chaussettes et les chaussures pour le vélo. Il faut avoir le casque, les lunettes et éventuellement les gants de vélo. Les gels sont fixés au vélo et sont dans la poche arrière du maillot. Les bidons sont sur le vélo. A la transition entre le vélo et la course à pied, il faut les chaussures pour courir, la casquette pour se protéger du soleil. Ces affaires doivent être préparées à l’avance et mises dans les sacs appropriés. Avec François, nous avons laissé nos affaires avec les organisateurs pendant l’après-midi et finalement, nous étions prêts à affronter l’épreuve.

François :

« Êtes-vous sûr que mon vélo est dans la soute ? » je posais la question à l’hôtesse de l’air en rentrant dans l’avion. Voilà qui est révélateur du stress qu’on a vécu les dernières heures avant la course. En triathlon c’est fou comme on est dépendant de plein de détails matériel, j’ai établi une liste pense-bête avec 55 articles, depuis les lunettes de natation jusqu’à la ceinture porte dossard, en passant par les chambres à air de remplacement, la montre GPS, …), ça n’a rien à voir avec la course à pied où l’essentiel tient avec les chaussures le short et le maillot. On ressasse en permanence dans la tête cette liste, on simule virtuellement les transitions pour être sûr d’avoir tout prévu. Qui plus est l’assistance est interdite pendant la course donc il faut absolument ne rien oublier !

A peine arrivés le vendredi soir à Nice avec Caroline, nous allons tout de suite récupérer mon dossard et les sacs de transitions. L’organisation Ironman est remarquable, tout est parfaitement rodé bien qu’il s’agisse d’une énorme logistique, et nous n’avons rencontré aucun souci jusqu’à la fin. Bravo à la société Ironman et à Yves Cordier l’organisateur de l’évènement sur Nice que nous avions rencontré pendant le stage de préparation.

Le samedi, après avoir refait pour ma part 10 fois mes sacs de transitions, nous allons les déposer avec nos vélos dans les zones prévues. Le parc à vélo est immense, et avec mon dossard n°2686 mon emplacement de vélo est situé en fond de parc, tout proche de la zone de transition, je mémorise bien l’endroit pour ne pas avoir à chercher le lendemain. Avant de sortir du parc nous avons droit au tatouage de notre n° sur le bras et sur le mollet, avant de récupérer notre puce qu’on gardera à la cheville jusqu’au dimanche soir. Voilà, tout était enfin prêt, nous n ‘avions plus qu’à attendre le départ de la course !

 

La course

James :

Je me lève à 4 heures du matin et il fait encore nuit dehors. J’avale rapidement un bol de céréales, du riz au lait et un peu de gatosport. François est déjà debout et on parle doucement ensemble pour ne pas réveiller nos femmes. J’enfile ma tri-fonction et je prends mon sac de street-wear (shorts, polo, chaussettes, etc.) et j’ajoute ma combinaison, mes lunettes et mon bonnet de natation. Nous descendons dans la rue et nous dirigeons vers le départ où, à fur et à mesure que nous avançons, les compétiteurs sortent des rues tels des zombies avec leur bracelet au poignet et la puce autour de la cheville. Nous avons accès aux vélos pendant une heure et nous effectuons les derniers réglages : gonflage des pneus à 8 bars, vérification des gels et des bidons sur le vélo. Je m’inquiète à propos de ma selle de vélo qui couine et qui bouge légèrement mais il est trop tard pour agir maintenant. Il faut qu’elle tienne !

Je sors du parc vélos et j’admire pour une dernière fois les 2 600 vélos alignés ensemble. C’est une vue impressionnante avec des machines qui valent jusqu’à 15 000€. Le triathlon est vraiment un autre monde… J’attends le dernier moment et j’enfile la combinaison et demande à des britanniques que j’entends discuter ensemble de m’aider avec la fermeture éclair. Je saute dans l’eau pour m’habituer à la température et pour faire un échauffement rapide avant de ressortir et retrouver François sur les galets. Nous patientons vers l’arrière des concurrents et regardons le départ des pros dans l’eau. Il semblerait que nous ne sommes pas les seuls à naviguer en ligne droite dans l’eau mais très vite tout s’arrange et nous attendons notre départ.

François :

Je n’ai pas dormi de la nuit… Je me lève à 3h du matin pour prendre un bon petit déjeuner, je me connais et j’applique la même règle que pour les marathons, à savoir d’avoir terminé de manger 3 heures avant le départ de la course. James me rejoint à 4h, nous finissons de nous habiller et partons dans la fraîcheur matinale rejoindre le parc à vélo. Nous laissons en premier nos sacs de ravitaillement perso, que nous retrouverons au col de l’Ecre et sur le parcours marathon, puis allons finir de préparer nos vélos : gonflage des pneus, mise en place des bidons, fixation de la pochette pour les gels et barres énergétique,… Il ne reste plus qu’à enfiler la combinaison de natation, sans oublier le bonnet et les lunettes, et nous nous dirigeons vers la plage. J’arrive 30mn en avance et me jette à l’eau pour m’échauffer un peu. Je me sens à ce moment détendu et prêt à en découdre ! Je retrouve James dans le sas le plus à gauche, comme convenu, et nous décidons de reculer un peu, derrière les premières rangées d’athlètes, pour éviter les coups lors du rush du départ.

 

La natation

 
James :
 
Le départ est donné et je marche sur les galets vers la mer qui est relativement calme et plate. Je suis à l’extrême gauche du départ pour éviter la bousculade des nageurs. Je commence à nager et je suis réconforté par la présence de jambes et de corps autour de moi dans l’eau. Je jette un coup d’œil rapide à la première bouée en levant la tête et je vois que je prends la bonne direction. J’essaie de me calmer et je continue à nager le crawl.

Le parcours dans l’eau consiste en 2 boucles : la première de 2,4km autour de 4 bouées ; et la deuxième de 1,4km autour de 2 bouées additionnelles. Les nageurs sont contrôlés par des personnes en kayak et en jet ski pour non seulement empêcher la triche mais également pour éviter des détours trop importants. Chaque fois que je contourne une bouée je suis satisfait : une de moins ! Je vois le gros des concurrents devant moi mais néanmoins, je ne suis pas seul et j’ai quelques participants autour de moi, situation qui me rassure. Je contourne la troisième bouée et je me dirige vers la côte qui me semble très lointaine. Au bout de quelques minutes, je lève la tête de nouveau et il n’y a personne autour de moi. Un gars en kayak me siffle et me crie à gauche. J’ai oublié la quatrième bouée et je dois changer de direction. Tout d’un coup, je suis pris de panique par rapport à la distance additionnelle à parcourir. Je vise bien la bouée cette fois-ci et je repars.

Je regarde le fond de la mer en nageant quand je vois des disques fluorescents en dessous de moi. Des méduses qui font leur trajet dans le sens opposé. J’essaie de les oublier et je continue vers la bouée et puis la côte pour sortir de la première boucle en 1 heure 2 minutes avant de repartir pour la dernière partie du parcours aquatique. Je sors de l’eau finalement et je regarde derrière moi. Il n’y a pas beaucoup de personnes dans l’eau et cette impression est confirmée quand je récupère mon vélo et il est presque tout seul dans le parc. Je sors 2 307ème / 2 571 athlètes en 1 heure 42. Laurence me regarde partir en vélo et me crie que j’ai 13 minutes de retard sur François. Je me concentre sur la tâche à réaliser : reprendre du temps sur François avant la course à pied.

François :

Top c’est parti ! Cela faisait 1 an qu’on attendait ce moment ! Les premiers mètres dans l’eau se font finalement sans être trop gêné par les autres nageurs, et au bout de 200m je trouve assez d’espace pour commencer à nager régulièrement et à respirer tous les 3 temps. Je me concentre sur ce que j’ai appris tous ces derniers mois, bien allonger les bras, accélérer à la verticale, pousser loin derrière avec la main,… Pour m’orienter je m’assure au début de ne pas m’éloigner trop des autres nageurs, avant d’apercevoir la première bouée et de piquer dessus. Au passage de la bouée je jette un œil à ma montre, 22mn pour 1km, c’est conforme à mes espérances et cela me donne confiance pour la suite. Je constate aussi que je double quelques nageurs et que je suis rarement doublé, tout va bien ! Le premier retour vers la plage se passe au même rythme et quand je sens ma montre vibrer au 2ème km je me rassure en réalisant que j’en ai fait plus de la moitié. Pour la sortie à l’australienne après le 1° triangle, je n’hésite pas à prendre le bras des bénévoles pour m’aider à sortir de l’eau, je savais par l’expérience du stage que j’allais tituber en me remettant debout. Eh hop, je replonge dans l’eau pour le 2° triangle, cette fois pressé de terminer la natation. Je n’ai pas eu le loisir d’apercevoir des méduses comme James, juste le bonnet d’un concurrent coulant vers le fond. Je sors de l’eau au bout d’1h29mn, et même si je ne suis qu’en 2062ème positon, je suis très satisfait de ce temps, moi qui savais à peine nager le crawl il y a 1 an ! Je passe sous la douche rapidement et commence à trottiner vers le parc à vélo. Je dépense 8mn pour la transition, c’est beaucoup, mais il faut enlever la combinaison, mettre ses chaussettes, les chaussures, son dossard, etc. puis prendre son vélo, courir jusqu’au bout du parc avec le vélo la main et enfin l’enfourcher après la ligne de sortie du parc.

 

Le vélo

James :

Il fait bon et pas trop chaud sur le vélo. Il y a des nuages qui couvrent le ciel empêchant le soleil matinal de percer. Je mets mes lunettes de vélo et je me place en position basse utilisant les prolongateurs sur le guidon. Je pousse les jambes et j’adopte un rythme de pédalage que je trouve confortable et qui j’estime ne va pas m’épuiser. Très vite je commence à rattraper des concurrents isolés mais vu mon temps abominable dans l’eau, ceci est prévisible. Je reste confortable jusqu’à la première difficulté aux Condamines au bout de 20 km. Ici, on quitte le fond de la vallée du Var et on commence à monter dans l’arrière-pays niçois. C’est une montée abrupte de 400m mais avec une pente de 16%. Je change de vitesse et malgré l’entretien que j’ai fait faire au vélo, les vitesses sautent et je suis obligé de rester en 3ème vitesse (39 devant/ 21 derrière pour les connaisseurs) et ça fait mal aux cuisses. Je quitte cette première partie de la montée et j’attaque la deuxième partie qui grimpe jusqu’à Gattières mais avec une pente plus douce. La densité des cyclistes augmente et je suis content de les doubler dans la montée. Je mange un gel maintenant et je bois de la boisson énergisante régulièrement. On rejoint la route principale vers Vence et je reprends une position basse sur le vélo et adopte mon rythme de croisière. Cette section jusqu’à Vence et après à Tourrettes s/Loup est une longue série de faux plats montants et je me concentre sur ma vitesse et le nombre de rotations des jambes. Ça se passe sans incident et je suis content de voir que la circulation est bien contrôlée par des gendarmes à moto et par des volontaires à chaque intersection. Il y a plus de 1 500 volontaires le jour de la course pour tout maitriser.

La descente de Tourrettes sur Loup jusqu’à Pont du Loup est un pur plaisir. Rapide avec une bonne surface de route, on atteint vite des vitesses autour de 50km/h. J’entends un hélicoptère et les motards passent à vitesse maintenant. Qu’est-ce qui se passe ? La réponse est juste après un virage où je vois un vélo par terre, l’avant complètement explosé par le choc avec le mur qui longe la route. Le cycliste à côté de moi fait le signe de la croix et on apprend plus tard que le concurrent est décédé dans l’hélicoptère en route vers l’hôpital. Je relativise et je me dis que je dois faire attention dans les descentes. Il serait dommage de tout perdre juste pour une épreuve sportive.

A Pont du Loup on commence la principale difficulté de la journée : la montée jusqu’au col de l’Ecre en passant par Gourdon. La pente moyenne sur cette montée de 21 km est de 6%. Elle n’est donc pas très raide mais il faut bien plus d’une heure pour grimper jusqu’en haut à mon niveau. Je roule pendant cette portion aux alentours de 15 km/h mais ceci suffit pour double de plus en plus de participants. La densité des concurrents croît avec chaque coup de pédale et je prends confiance dans ma capacité d’aller jusqu’au bout. Je double toute sorte de concurrents : des jeunes, des moins jeunes, des femmes, des hommes. Tiens, un gars qui monte en Vélo Bleu, l’équivalent niçois de Vélib. Si l’épreuve n’était pas suffisamment difficile déjà, sans la faire avec un vélo qui pèse 18kg et qui n’a que 3 vitesses !

Je récupère mon sandwich en haut du col de l’Ecre et je regarde la montre. Je calcule que j’ai mis moins de 3 heures de vélo pour y arriver, mieux qu’attendu, et que même s’il reste 110 km, le plus dur est fait. Je pense de nouveau à François et je me demande où il est. Je mets la tête dans le guidon et je repars. Après le plateau en haut et une dernière petite montée à Caussols, on descend pendant des kilomètres jusqu’à Gréolières. J’ai un petit coup de mou à ce moment-là et j’ai du mal à me motiver pour augmenter ma vitesse. C’est le contrecoup de la montée et j’ai presque hâte de regrimper vers le col de Vence et Coursegoules. Au moins dans les montées je double des concurrents alors que dans ces petites descentes, je roule à la même vitesse que ceux autour de moi.

Juste en dessous du col de Vence, on fait demi-tour et Laurence et la famille de François m’encouragent. Ils m’indiquent que je n’ai plus que 11 minutes de retard sur François, pourtant je ne l’ai pas vu en sens inverse pendant les 5 kilomètres de route commune. Une dernière montée à Coursegoules et maintenant je suis dans mon élément. La route descend rapidement en épingle à cheveux parfois. Je prends les virages rapidement et j’accélère en sortie de virage afin de reprendre de la vitesse immédiatement. Personne ne reste avec moi dans les descentes et je double de nouveau des concurrents qui appuient trop fortement sur les freins à mon goût. Je sais que je rattrape François maintenant. On a roulé beaucoup ensemble et je le connais suffisamment pour savoir qu’il n’ira pas aussi vite. Je dois dépasser les 60 km/h par endroit et je me fais peur 2 ou 3 fois dans des virages gravillonnés. J’adore cette sensation de vitesse et de prise de ligne où on doit anticiper le virage et choisir la meilleure trajectoire. Je quitte la descente et je me retrouve de nouveau dans la vallée du Var en direction de St Laurent du Var. Le vent est en face désormais et je me cache derrière des cyclistes pour ne pas fournir un effort permanent. Quand ils ralentissent, je reprends le relais et je continue à rouler à un rythme de rotation plus élevé. Il faut faire attention puisque le drafting (l’aspiration derrière le vélo devant) n’est pas permis et nous devons laisser une espace de 7 mètres entre les vélos. Je regarde qu’il n’y a pas d’arbitres aux alentours. Je suis content de ma prestation en vélo et j’ai envie de courir maintenant. Les nuages ont disparu et le ciel est bleu foncé. Il fait chaud en bas en comparaison à la relative fraicheur en montagne. Je reprends ma position basse dans la Promenade des Anglais et une moto avec un arbitre derrière me double. Elle me fait signe du pouce pour indiquer que je fais du bon travail. Je lui souris et je fonce vers la ligne d’arrivée. Je termine le vélo en 6 heures 20 minutes à une vitesse moyenne de 28,4 km/h. J’ai repris 556 concurrents et je suis désormais en 1 751ème place.

François :

Ah quel plaisir de se retrouver sur son vélo ! Je roule assez tranquillement les premiers km, je prends le temps de bien boire et de me ravitailler (un gel et une barre), et même de me mettre de la crème solaire sur les cuisses et sur les bras, tout en pédalant. Beaucoup d’arbitres en moto me doublent et je fais attention à ne pas me faire prendre en défaut de drafting. En fait, j’aurai vu beaucoup d’arbitres jusqu’à Vence, mais dès les premières montées je n’en verrai pratiquement plus, sans doute parce que le drafting est pratiquement impossible dans les côtes. Je passe facilement la côte des Condamines à 140 pulsations/mn, en doublant plusieurs gars que j’entends souffler comme des bœufs. Dans la côte suivante vers Gattières, je continue à doubler, je savais depuis le stage que cette petite côte était révélatrice pour la suite. Arrivé à Gattières, on arrive sur un faux plat montant jusqu’à Vence et là il s’agît de mon terrain favori dans lequel je suis très à l’aise. Je prends la bonne position sur le vélo et commence à avaler les km à plus de 30km/h en contrôlant en permanence ma fréquence cardiaque, entre 125 et 135 p/mn, et ma fréquence de pédalage autour de 90 tr/mn. C’est un énorme avantage de connaître le parcours, je peux doser précisément l’effort, je sais après chaque virage ce qui m’attend. Je passe Vence puis Tourrettes et profite de la première descente jusqu’à Pont du Loup pour souffler un peu. Un gendarme me fait signe de ralentir au bout de quelques km, il y a eu un accident, je vois un cycliste ensanglanté à terre, et une équipe de secouristes autour de lui. C’est impressionnant et cela jette un froid dans le dos, bien que ce n’est pas pour moi la première épreuve cycliste où je passe à côté d’un grave accident. J’entends peu après l’hélicoptère de secours, je pense à James qui doit être derrière moi, en espérant pour lui qu’on n’arrêtera pas la course pour laisser atterrir l’hélicoptère. Cela m’était arrivé lors de l’étape du Tour 2011, nous avions été bloqués pendant 45mn avant la montée de l’Alpes d’Huez par un accident similaire. Nous apprendrons après l’arrivée le décès tragique du coureur, un britannique de 30ans, mort en pratiquant sa passion.

 

A Bar sur Loup je croise avec plaisir ma famille venue m’encourager mais dès le virage vers Gourdon les choses vraiment sérieuses commencent ! Un gros peloton s’est formé, les premiers km de côte sont assez durs mais rapidement la côte s’adoucie et je peux repasser sur le grand plateau pour accélérer un peu avant Gourdon. J’attaque ensuite la plus longue côte du parcours jusqu’au col de l’Ecre, je connais bien le parcours et j’ai plaisir à doubler tout un tas de coureurs dont certains chevauchent des machines qui valent au moins 15000€ ! Au col de l’Ecre je récupère mon sac de ravitaillement et je m’octrois quelques minutes de relâchement, tout en pédalant, pour savourer mon délicieux sandwich préparé le matin même. Cela me change des gels et des barres !

A ce sujet j’avais retenu lors du stage du mois de mai, et à la lecture de certains blogs, que l’alimentation était fondamentale pour réussir un Ironman. Il faut boire beaucoup (j’avais programmé une alarme toutes les 10mn sur ma montre pour m’obliger à boire), manger régulièrement (une barre ou un gel toutes les 40mn), compenser la perte des sels minéraux avec la boisson isotonique qui nous était proposée à chaque ravitaillement.

Commence alors la partie la plus facile avec la grande descente jusqu’à Gréolières. Je m’inquiète un peu de ne pas avoir encore vu James me doubler, mais je me dis qu’il va sûrement me dépasser dans cette deuxième partie du parcours. Je sais que dans les descentes il va beaucoup plus vite que moi, je l’ai déjà vu à l’œuvre ! Je ne me suis pas habitué aux prolongateurs sur le guidon pendant l’entraînement, contrairement à James, et je sais que cela me fait perdre 1 à 2 km/h. Pratiquement tous les vélos en sont équipés, si je continue le triathlon il faudra bien que je trouve une solution, la plus radicale serait de racheter carrément un vélo de triathlon !

La dernière côte jusqu’à Coursegoules est avalée rapidement, sur le grand plateau, et j’attaque la partie plane jusqu’au col de Vence. Il y a un peu de vent et ne voyant pas d’arbitre, je souffle un peu en faisant du drafting sur quelques centaines de mètres. Au demi-tour du col de Vence, j’ai le plaisir de frapper dans les mains de ma famille et de Laurence tout en demandant rapidement « Où est James ? ». « il est derrière ! » me répond-t-on, mais je suis déjà loin et je ne sais pas comment interpréter cela. Est-il loin ? A-t-il eu un accident ?

Après le petit raidillon de Coursegoules, je sais que ce n’est pratiquement plus que de la descente, je m’accroche à quelques autres cyclistes et nous descendons en petit groupe jusqu’à la vallée du Var. En se rapprochant de la côte le ciel s’éclaircit et c’est sous un soleil radieux que j’arrive sur la promenade des anglais. Je rentre dans le parc à vélo en 1 657ème position, après 6h27 de course, satisfait car conforme à notre prévision de boucler cette 2ème épreuve entre 6h15 et 6h30mn.

 

Le marathon

James :

Je défais mes chaussures de vélo sur les pédales et je les laisse attachées au vélo. Je saute du vélo mais dès que je pose le pied par terre, je sais que j’ai un problème. J’ai une tendinite sur la partie extérieure du pied droit. Le problème que j’ai eu depuis le début en faisant du vélo. Je boîte vers mon sac de transition pour mettre mes chaussures de course à pied et je me demande comment je vais faire pour pouvoir courir, sans parler de courir un marathon. La douleur est intense et je mets les chaussures de course et je pars. La douleur est toujours vive mais je boîte moins et j’estime que c’est supportable. De toute façon, je n’ai pas le choix : je ne vais pas abandonner maintenant.

Il fait chaud, très chaud pour moi à 24°C mais avec un soleil de plomb sur la Promenade des Anglais. Je pars à une vitesse confortable pour moi à 4’22/km mais très vite la chaleur et l’humidité ont raison de moi et je suis obligé de m’arrêter à chaque point de ravitaillement, tous les 1,8km. Je cours 5 kilomètres et je cherche le peu d’ombre qu’il y a fourni par les palmiers à côté de l’aéroport. Je continue de chercher François devant moi je ne le vois pas. Je suis encouragé par Laurence et par la famille de François de nouveau sur le parcours de course à pied qui fait 5,3 km d’un bout à l’autre le long de la Promenade, donc des boucles de 10,6 km qu’il faut parcourir 4 fois. A la fin de chaque boucle, je récupère un chouchou d’une couleur différente : vert pour la première boucle, puis jaune, puis rose pour la troisième. Je ne peux pas m’empêcher d’envier les coureurs avec plusieurs chouchous au poignet, signe que leur délivrance n’est pas si loin.

Je prends mes habitudes aux points de ravitaillement : l’eau est en premier donc je réserve un verre pour la tête et pour mouiller la casquette et je bois le deuxième, j’avance en marchant et je bois un coca ou une boisson énergisante et je termine par un autre gobelet d’eau. Des fois, je varie en mangeant un bout de Powerbar. Qu’est-ce que je m’amuse ! J’ai tellement chaud que j’évite les douches pour ne pas laisser l’eau évaporer sur ma peau en provoquant plus de sensation de chaleur. J’en ai ras-le-bol. Je ne suis pas confortable, je ne cours pas bien, et je traine les pieds. Je récupère mon premier chouchou et je me sens mieux pendant 2 minutes avant de retomber dans la lassitude la plus totale. Vers 12km, je passe devant Laurence qui me dit que François n’est pas loin devant. Je vois qu’elle a envie que je consacre plus d’effort. J’ai envie également mais mon corps refuse. Tant pis !

Je guette François parmi les coureurs devant moi. Je sais qu’il est habillé en blanc avec une casquette mais chaque fois que je pense le voir et fais un effort pour revenir à son niveau, ce n’est pas lui et je recommence à guetter devant. Juste avant le panneau des 15km, je le vois. Je cours à son coté et je lui demande comment il va. Il me répond que ça va et que nous allons faire mieux que 12 heures, notre objectif commun mais ambitieux. Je lui dis que ceci me semble encore ambitieux mais faisable. Il me dit de ne pas l’attendre et de continuer à mon rythme. Je pars à la recherche de mon deuxième chouchou, globalement satisfait d’avoir rattrapé François mais inquiet face à la distance restant à faire et à la chaleur qui ne baisse point.

La course à pied devient un supplice à partir de ce point. Le soleil tape fort, la lassitude augmente et la seule chose qui me motive est de terminer cette satanée course et de me déclarer Ironman pour que je n’aie plus jamais à souffrir pareil. Les kilomètres passent trop longuement et les points de ravitaillement semblent s’éloigner malgré le fait que c’est les mêmes à chaque passage. Laurence m’encourage mais je n’ai plus envie de subir cette torture. Je récupère mon deuxième chouchou et je me dis que je ne suis qu’à mi-chemin. Ma montre Garmin est pleine et n’enregistre plus les passages kilométriques donc je n’ai aucune idée de la vitesse à laquelle je cours. Je note l’heure de passage à 20 kilomètres et je calcule la différence quand je passe devant le panneau de 25km : 24 minutes d’écart. Je cours donc à environ 5’00 /km et je peux toujours passer en dessous de 12 heures à ce rythme-là mais il ne faut pas que je baisse d’allure. Ces calculs me reboostent mentalement et au moins je sais pourquoi je consacre de tels efforts.

Les encouragements des supporteurs sont toujours les bienvenus quand je leur passe devant. J’essaie de sourire au passage mais je crains que ce soit plutôt une grimace qu’autre chose. J’ai toujours chaud mais je cours au même rythme. Je continue ma routine aux ravitaillements et je pense à la ligne d’arrivée. D’ailleurs, je vois la ligne d’arrivée à la fin de chaque boucle. Une belle arche en bleu avec un passage entre deux tribunes qui longent 80 mètres de tapis bleu où la foule est en train de féliciter encore un concurrent. Je m’imagine en train de passer dans ce couloir et le bonheur qui ceci va procurer. Encore une dernière boucle et ce sera possible. 30 km désormais et il ne reste qu’une boucle et un peu plus d’une heure pour la faire. Ca fait presque 11 heures que j’avance maintenant et mon corps n’en peut plus. Mes pas sont lourds et je cours tellement lentement à mon avis que je ne suis pas fier. Je n’arrive pas à accélérer et dès que je pousse le pas ou que j’allonge la foulée, j’ai de petites crampes dans les muscles des jambes qui me rappellent à l’ordre.

35 km et je fais le dernier demi-tour à l’aéroport. Je vois le Negresco au loin et je sais que l’arrivée est juste en face. Je regarde ma montre et un nouveau petit calcul pour me dire que je peux courir à 7’00/km et toujours réussir l’objectif. Puisque je ne sais toujours pas à quelle vitesse je cours, je décide de ne pas le risquer et j’accélère au fur et à mesure des derniers ravitaillements. Il me reste 3 avant l’arrivée, puis 2, puis le dernier et je sais que je vais le faire. Je vais pouvoir terminer finalement cette course. Les mois d’entrainement, de persévérance et de doute, beaucoup de doutes, sont terminés et j’arrive à la consécration de tous ces efforts. Je cherche Laurence vers l’arrivée mais je ne la vois pas donc je continue jusqu’à l’arche en me rappelant d’enlever la casquette et les lunettes pour la photo de finisher. Je suis Ironman. J’ai réussi et je suis comblé. Je termine en 11h46 après un marathon de 3h27 qui me semblait avoir duré le double de ce temps. Je retrouve Laurence et je l’embrasse avant de chercher de l’ombre pour me coucher et une bouteille d’eau pour me rafraichir. Plus jamais ça ! Quel supplice, quelle torture mais quelle satisfaction d’être allé jusqu’au bout.

Je m’allonge et j’essaie de me détendre mais j’ai la tête pleine de pensées de la course : le stress avant le départ, la natation quand je me retrouve tout seul, la chaleur et le supplice du marathon mais surtout, au-delà de tout, je pense à l’image du vélo écrasé sous le choc de l’heurt du mur dans la descente et le décès du britannique de 30 ans qui a perdu sa vie en faisant son sport. Je pense à sa famille et comment ils vont réagir, comment ils ont réagi à ces nouvelles mortelles et je pense à ma propre famille et à mon fils ainé qui me dit avant la course de ne pas mourir pendant l’épreuve. Il est décédé en poursuivant son rêve, sa passion. Il est beaucoup plus difficile pour ceux que nous laissons derrière nous.

J’attends François avec impatience. Impatience de partager ce moment avec lui après tous ces efforts et impatience de le voir arriver sain et sauf sans souci majeur. Il arrive et on discute de la course et de ses difficultés. Il faut être fou pour faire ça pour le plaisir.

J’ai envie d’une bière…

 

François :

J’accroche rapidement mon vélo à son emplacement et je trottine pour récupérer mon sac de transition bike-run. Je trouve une chaise pour m’asseoir, je savoure quelques secondes de repos avant d’attaquer la partie la plus difficile. Zut j’ai oublié ma montrer GPS sur mon guidon ! Je recours dans le parc à vélo le chercher, finis de me préparer, jette mon sac dans la drop-box et me retrouve tout d’un coup, après 6mn de transition, sur le parcours marathon. Il y a beaucoup de coureurs, certains ont déjà plusieurs chouchous à leur poignet. Le fait de courir 4 fois sur la même boucle fait qu’on croise et recroise tout un tas de coureurs ! Beaucoup marchent déjà, même sans avoir encore atteint les 21km. Il fait très chaud, j’ai mal au ventre et je marche dès le premier ravitaillement pour boire et m’asperger. Je ne peux boire que de l’eau, je n’ai vraiment pas envie d’autre chose alors que je sais qu’il faudrait que je m’alimente davantage.

 

Ma vitesse commence à se dégrader dès le 10ème km, je réalise que je ne tiendrai plus les 5mn au km que je m’étais fixés ! Je marche à chaque ravitaillement ce qui ralenti considérablement ma vitesse moyenne, mais le mal de ventre me taraude et les jambes ne veulent plus avancer à la bonne vitesse.

Heureusement je croise ma famille venue en renfort et Laurence à chaque demi boucle et c’est un grand plaisir à chaque fois de les entendre m’encourager ! Malgré ma faible vitesse, je m’impose à ne jamais marcher entre les ravitaillements, contrairement à une quantité de plus en plus importante d’athlètes exténués. James me double enfin sur la 2ème boucle vers l’aéroport, quelle joie de le revoir ! Il a une bonne foulée, je lui dis qu’on peut encore espérer faire moins de 12 heures, et l’encourage à faire un bon chrono !

Au 21ème km je sais que je vais terminer ce marathon, même si mon espoir de faire 3h30 est oublié. Ma douleur au ventre ne me quittera pas jusqu’à la fin de la course, cela est sans doute dû à tous les gels, barres et boissons isotonique pris pendant le vélo. Sachant que j’étais sensible sur ce point, j’avais pourtant pris un Smecta le matin, mais cela n’a pas évité les maux d’estomac qui m’ont véritablement empêché d’avancer plus vite. Je n’aurais pratiquement bu que de l’eau pendant tout le marathon, même le coca ne passait plus.

Tant pis, il faut tenir jusqu’au bout ! Je continue tant bien que mal en regardant avec inquiétude ma vitesse se dégrader encore, alors que mon cardio est très bas à 120 p/mn alors que je devrais être au moins à 140. Mais j’arrive au 30ème km et je commence enfin la dernière boucle, ma belle-sœur me crie : « ça y est François, tu as tous tes chouchous ! ». C’est vrai, je peux faire le fier maintenant en croisant les coureurs qui ne font que démarrer le marathon ! Je retrouve un semblant d’énergie sur les derniers kms et à la fin de cette 4° boucle je peux finalement bifurquer sur la dernière ligne droite : j’aperçois au loin l’arche caractéristique de la ligne d’arrivée, je force alors l’allure pour terminer en beauté, je rattrape un autre coureur, ça y est ! Je lève les bras en passant sous l’arche, j’arrête enfin ma montre GPS…

Sur le coup je me sens un peu étourdi, je ne suis pas submergé par l’émotion (cela viendra après) et ce n’est que quand je vois plusieurs athlètes étalés sur le sol que je réalise vraiment que la course vient de se terminer. 4h00mn pour le marathon, je suis déçu… je visais 3h30 et je sais que j’avais les jambes pour les faire ! Malgré tout je termine 736° du marathon, et 1254ème au scratch global avec 12h12mn de temps cumulé.

Je retrouve tout de suite James et Laurence qui m’attendaient, puis Caroline et toute la famille, et c’est la joie de partager nos impressions, de se dire qu’on y est arrivés, on est Ironman, on est allé au bout de notre objectif !

 

 

 

Le lendemain

James :

Une fois la douleur subie oubliée, on regarde le coté rationnel des choses. Comment faire mieux la prochaine fois : des entrainements spécifiques en natation, plus de distance en entrainement vélo et des températures plus clémentes pour le marathon à la fin. Pourquoi pas ?

François :

Curieusement le lendemain je suis beaucoup moins courbaturé qu’après un marathon « sec », est-ce pour l’avoir couru moins vite que d’habitude ? Ou dû à la qualité de l’entraînement ?

Tout en préparant nos valises pour le retour, nous savourons avec James notre immense joie d’avoir réussi cet exploit sportif exceptionnel. Je crois que nous allons rester longtemps sur notre petit nuage !

 
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